Yémen : des années de crise, une vie entière de pertes 

De nombreux Yéménites attendent toujours la possibilité de reconstruire leur vie. Photo : OIM

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  • Othman Belbeisi | Directeur régional, OIM MENA 

Depuis des années, les Yéménites mettent leur vie entre parenthèses – à cause du conflit, de la faim, des pertes... Les infrastructures sont détruites et la population est épuisée. Pourtant, plus les années passent, moins le monde s’intéresse à la situation critique du Yémen.  

Aujourd'hui, près de 20 millions de personnes au Yémen dépendent de l'aide pour survivre. Près de cinq millions d'entre elles sont toujours déplacées d'un endroit à l'autre, fuyant la violence ou les catastrophes. La communauté internationale, autrefois bouleversée par les images de souffrance venues du pays, est aujourd’hui accaparée par de nouvelles urgences. Mais pour ceux qui travaillent au Yémen – et pour ceux qui vivent cette détresse au quotidien – la crise est loin d'être terminée.  

Personne ne ressent cette réalité plus vivement que nos collègues yéménites, qui sont restés à leur poste malgré la situation pour aider leur peuple. Nombre d'entre eux ont continué leur travail dans ce contexte d’instabilité et de pertes, tout en s'inquiétant pour la sécurité de leurs familles. Aujourd'hui, face à la montée des tensions et à l'aggravation des coupes budgétaires, ils craignent également pour leur emploi. Contrairement à la plupart d'entre nous, ils n'ont pas la possibilité de repartir à zéro. Ils ne peuvent pas compter sur des économies ou des opportunités ailleurs – c'est souvent leur passeport seul qui détermine leur avenir. 

Telle est la réalité quotidienne d'un pays trop souvent réduit aux gros titres. Mais le Yémen est bien plus qu'une nation en crise. C'est un pays aux paysages époustouflants, aux cités antiques, aux riches traditions, à l'hospitalité chaleureuse et à la gastronomie mémorable. Mais ce ne sont pas ces caractéristiques qui font les gros titres. Au contraire, les Yéménites ne sont vus qu'à travers le prisme du conflit et de la pauvreté. N’oublions pas que des personnes se cachent derrière les statistiques.  

Des personnes comme Basma, originaire d'Al Hodeidah qui a été forcée de fuir avec ses enfants à Al Makha à la recherche de sécurité et d'eau. Elle marchait pendant des heures chaque jour pour remplir quelques jerrycans. Son plus jeune enfant s'est un jour évanoui de soif alors qu'il attendait sous un soleil de plomb. Pendant des années, l'eau potable n'a été qu'un rêve, jusqu'à ce qu'un récent projet d’alimentation en eau apporte enfin un peu de soulagement à son village. 

Ou comme Ibrahim, un homme de 70 ans déplacé suite à de fortes inondations à Ma'rib. Lorsque les eaux ont balayé son village, il a porté son fils déjà adulte, mais vivant avec un handicap, sur son dos pour le mettre à l'abri. Ils ont tout perdu – leur maison, leurs biens et le peu de stabilité qu’ils avaient – mais Ibrahim ne s'est jamais plaint. Tout ce qui lui importait était de trouver de l'aide pour son fils. Aujourd'hui, ils vivent temporairement dans une tente, à la merci des éléments, dépendant d'une aide qui n'arrivera peut-être pas à temps, voire pas du tout.   

Citons encore Mohammed, un jeune homme originaire d'Éthiopie qui a traversé des déserts et des zones de conflit dans l’espoir d'accéder à une vie meilleure. Au lieu de cela, il s'est retrouvé bloqué au Yémen, où il a été détenu, battu et abandonné sans toit ni nourriture. Lorsqu'il est arrivé au centre pour migrants de l'OIM, il était affaibli, traumatisé et désespéré de rentrer chez lui. La seule option qui lui restait était de demander un retour volontaire dans son pays - un voyage de retour à la maison que beaucoup d'autres n'ont jamais eu l'occasion de faire. 

Ce ne sont là que trois exemples parmi des millions de vies prises au piège de cette crise qui perdure. L'un des pays les plus pauvres du monde arabe s'appauvrit de plus en plus, sans que son peuple puisse y faire quoi que ce soit, parce que le monde lui tourne lentement le dos. Cette crise n'a pas commencé hier, mais ses conséquences s'alourdissent de jour en jour. Les Yéménites ne sont pas responsables de ce qui se passe dans le monde, et pourtant, ils en portent le poids. Ils n'ont pas besoin de notre pitié, mais de notre solidarité. Que cette année soit celle où nous transformons l'empathie en action. 

Alors que la communauté internationale se réunit pour de grandes conférences, prend des engagements et fixe des priorités, le Yémen ne doit pas être oublié. Les Yéménites ne sont pas seulement des victimes. Ce sont des survivants, des soignants, des bâtisseurs, des enseignants, des mères, des pères et des enfants qui, comme tout le monde, nourrissent des espoirs et des ambitions. Mais ces quelques mots ne suffisent pas à assurer la sécurité, l'alimentation ou des logements pour ces personnes. Ne laissons pas ces conversations rester des vœux pieux – nous devons agir pour le Yémen. Détourner le regard aujourd'hui ne serait pas seulement un échec de la diplomatie, ce serait un échec de l'humanité. 

SDG 10 - INÉGALITÉS RÉDUITES
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