Journée mondiale des villes : comment les restrictions liées à la COVID-19 ont remodelé la vie des migrants et des populations déplacées dans les centres urbains

Les travailleurs sanitaires de l’OIM au Liban fournissent des médicaments et un traitement à domicile aux patients qui ont du mal à accéder aux soins de santé. Photo : OIM/Angela Wells

Genève, 31 octobre 2021 – La pandémie de COVID-19 a bouleversé la vie des migrants et des populations déplacées dans les zones urbaines, s’ajoutant aux vulnérabilités nouvelles ou préexistantes. Six mois après l'apparition de la maladie, on estime que 90 pour cent de tous les cas de COVID-19 signalés se trouvent dans les villes, ce qui faisait des zones urbaines l'épicentre de la pandémie en juillet 2020.

De nombreuses populations déplacées et migrantes vivent dans des zones urbaines, où l'impact économique de la COVID-19 est prononcé. Les migrants jouent un rôle essentiel dans la réponse à la COVID-19 car ils travaillent souvent dans des secteurs essentiels, notamment les soins de santé, la vente et les services, l'agriculture, la pêche, la production, la transformation et la distribution alimentaire. Etant donné que ces populations sont plus susceptibles de travailler dans le secteur des services ou dans le secteur informel, elles ont souvent été les premières à perdre leur emploi, faute de congés maladie payés ou en raison des conséquences économiques de la pandémie. Dans le monde entier, les travailleurs informels ont perdu jusqu'à 60 pour cent de leurs revenus au cours du premier mois de la crise sanitaire. En Afrique et en Amérique latine, ce chiffre a atteint près de 80 pour cent.

En outre, les réfugiés et les déplacés internes qui vivent dans des environnements urbains surpeuplés sont également exposés à des risques sanitaires accrus, car les conditions de vie et de travail échappent à leur contrôle. Outre les difficultés à suivre les mesures de prévention de base contre la COVID-19, à savoir la distanciation physique, le port du masque et le lavage fréquent des mains, ces populations n'ont souvent pas accès aux vaccins contre la COVID-19 en raison d'un ensemble de facteurs, notamment l'approvisionnement limité en vaccins, le manque de confiance et d'information, et la peur d'être arrêtées, détenues ou déportées si elles cherchent à obtenir des soins de santé ou des services de vaccination.

La Matrice de suivi des déplacements (DTM) de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a recueilli des informations sur les impacts de la COVID-19 sur les populations mobiles à travers différents niveaux d'urbanisation afin de mieux comprendre leurs vulnérabilités et leurs difficultés. La célébration de la Journée mondiale des villes le 31 octobre 2021 est l'occasion d'attirer l'attention sur les défis auxquels sont confrontés les migrants urbains et les populations déplacées pendant la pandémie.

 

 

Éthiopie

En Éthiopie, une mère, Galmo, avec sa famille et quelques-unes des chèvres qu'elle a achetées pour reconstituer son troupeau. Photo : OIM Ethiopie

L'impact économique de la pandémie de COVID-19 a frappé les ménages urbains déplacés de manière disproportionnée en Ethiopie. Une publication conjointe de l'OIM et du Programme alimentaire mondial (PAM) a révélé que le confinement et les restrictions de mobilité ont aggravé la situation économique du pays, entraînant une augmentation rapide du chômage et des prix des aliments. La sécurité alimentaire s'est rapidement détériorée au cours de l'année 2020 et les populations déplacées sont devenues de plus en plus vulnérables à la crise alimentaire, la pandémie ayant épuisé le financement des opérations humanitaires. En juillet 2021, la DTM a constaté que dans 81 pour cent de tous les lieux de déplacement en Éthiopie, les gens ont signalé des pénuries alimentaires. Dans 83 pour cent d'entre eux, le prix de la nourriture disponible avait augmenté.

La réduction de la main-d'œuvre au début de la pandémie, en plus d'un taux de relèvement relativement lent, a été ressentie de manière plus aiguë dans les villes à forte densité de population. Les pertes d'emplois liées à la pandémie ont également eu un impact considérable sur le flux des envois de fonds à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Les effets combinés de ces impacts économiques ont fait croître à 31 millions le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté en 2020, contre 26 millions en 2019.

 

Libye

De jeunes Sénégalais rentrant de Libye et d'autres pays ont participé à une formation multimédia dans le cadre du projet Migrants comme Messagers de l'OIM. Photo : OIM/Alioune Ndiaye

Les impacts socioéconomiques de la COVID-19 ont exposé les migrants sans emploi ou dépendant d'un travail journalier occasionnel à l'insécurité alimentaire. En avril 2020, la DTM en Libye a constaté que 32 pour cent des migrants avaient des niveaux de consommation alimentaire inadéquats. Les résultats ont également révélé que plus de 70 pour cent des migrants vivant dans des établissements informels ne mangeaient pas assez et que l'utilisation de mécanismes d'adaptation négatifs, tels que la réduction du nombre et de la taille des repas, avait considérablement augmenté par rapport à 2019, avec 63 pour cent des migrants adoptant de telles stratégies. Début 2021, une étude conjointe menée par la DTM et le PAM a révélé que les moyens de subsistance des migrants continuaient d'être affectés par la pandémie, trois migrants sur quatre déclarant que leurs revenus avaient été réduits et 34 pour cent envoyant moins ou pas d'envois de fonds dans leur pays.

 

Somalie

En Somalie, la plupart des personnes déplacées par les catastrophes naturelles et les conflits vivent dans des établissements informels, souvent sans contrat d'occupation des terres et dans des conditions précaires.  Photo : OIM/Foresight Films

Les déplacements récurrents dus aux conflits et aux crises environnementales ont mis à rude épreuve les ressources déjà limitées des sites de déplacement urbains et périurbains. De nombreux déplacés internes vivent dans des abris de fortune surpeuplés et ont du mal à mettre en place des mesures sanitaires préventives. Dans les milieux urbains pauvres et les camps de déplacés internes, des facteurs tels que l'absence d’évacuation adéquate, le manque d'assainissement et d'hygiène produisent des conditions favorables à la transmission de la COVID-19.

Dans une évaluation sur les déplacés internes réalisée par l'OIM en mai 2020, la plupart déclaraient que leurs moyens de subsistance avaient été affectés par les restrictions liées à la COVID-19. Dans les districts plus urbains, les restrictions ont exercé une pression économique sur les personnes qui ne peuvent pas se rendre sur leur lieu de travail.  Dans une autre évaluation menée entre juillet et août 2020, la DTM a révélé que dans 93 pour cent des établissements urbains étudiés, entre 25 et 75 pour cent des personnes ont déclaré avoir perdu leur emploi au cours des six mois précédents.

 

Soudan du Sud

Des centaines de déplacés internes circulent dans une rue animée au sein du site de protection des civils des Nations Unies à Malakal. Photo : OIM/Muse Mohammed

Deux années d'inondations saisonnières exceptionnellement graves en 2019 et 2020 et les impacts économiques et sanitaires de la COVID-19, notamment la fermeture des frontières et les restrictions de voyage, ont aggravé l'insécurité prolongée de millions de personnes au Soudan du Sud. Entre août et septembre 2020, la DTM, en collaboration avec le PAM, a mené une étude sur l'impact de la pandémie sur la mobilité, les moyens de subsistance et l'accès aux services humanitaires dans des zones urbaines et des camps de déplacés internes sélectionnés. Selon l'étude, 66 pour cent des ménages ont déclaré ne pas pouvoir retourner dans leur ancienne zone de résidence habituelle. Ils sont également confrontés à des déplacements plus risqués pour rendre visite à leur famille (45 %), déménager (39,1 %) ou accéder aux soins de santé (38,9 %).

Les vulnérabilités économiques des familles migrantes et déplacées ont également changé de manière significative après l'introduction des restrictions contre la COVID-19. Quatre ménages sur cinq (86 %) ont signalé un changement dans leurs sources de revenus, 74 pour cent d'entre eux indiquant une baisse de revenus. La baisse des revenus a accru l'insécurité alimentaire pour les familles de migrants et de déplacés qui connaissent déjà une consommation alimentaire insuffisante. Une autre étude conjointe menée en décembre 2020 montre que ces défis ne s'étaient pas atténués à la fin de l'année.  

 

La voie à suivre

Après une entrée irrégulière au Mexique près de Ciudad Hidalgo, de nombreux migrants d'Amérique centrale et du Sud entament un voyage en train vers le nord à Arriaga, au Chiapas. Photo : OIM/Keith Dannemiller

Les migrants urbains et les populations déplacées sont confrontés à de nombreuses difficultés face à la pandémie de COVID-19. Les niveaux élevés de chômage et les opportunités d'emploi limitées en raison des restrictions de mobilité ont considérablement limité les moyens de subsistance et les opportunités génératrices de revenus dans les centres urbains et ont donc augmenté l'insécurité alimentaire des groupes vulnérables. En outre, si les migrants et les personnes en situation de déplacement sont confrontés aux mêmes menaces sanitaires liées à la COVID-19 que les populations d’accueil, ils sont également confrontés à des vulnérabilités spécifiques en raison des circonstances de leur voyage et de leurs mauvaises conditions de vie et de travail.

Les ripostes des pays à la pandémie et aux populations vivant dans leurs villes varient considérablement. Alors que nous commémorons la Journée mondiale des villes et que la campagne de vaccination mondiale modifie les restrictions de mobilité dans le monde entier, il est important de soutenir les personnes engagées dans la réouverture et le développement des espaces urbains et de les encourager à poursuivre des objectifs de développement urbain durable, y compris des garanties pour les migrants, les personnes déplacées et leurs familles.

 

Par Hong Tran, associé du DTM, OIM

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