L'attitude du public britannique à l'égard des migrations étant de plus en plus positive, il est temps d'élaborer des discours plus équilibrés et fondés sur des données probantes.

Oxford Circus à Londres, UK. Photo : OIM/Muse Mohammed

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Par:
  • Christa Rottensteiner | Chef de mission, OIM Royaume-Uni
  • Claire Kumar | Chargée de recherche principale, ODI

On pourrait croire que le Royaume-Uni traverse une véritable crise migratoire. Sous le feu incessant des projecteurs braqués sur les migrants qui traversent la Manche à bord de petites embarcations, il est facile d'oublier que non seulement le Royaume-Uni se situe bien en dessous de la moyenne des pays européens en termes de demandes d'asile, mais que le nombre actuel de demandes d'asile est loin d'être sans précédent ; c'est plutôt le moyen utilisé, de petites embarcations, qui est nouveau et plus visible tandis que les traversées de la Manche font l'objet d'une vaste couverture médiatique. 

Source: Ministère de l'intérieur, gouvernement britannique

Nous constatons également un nombre important de décès dans la Manche, ce qui est malheureusement de plus en plus fréquent sur les routes migratoires du monde entier. En réalité, le projet « Migrants disparus » de l'OIM a recensé 27 000 décès sur les routes migratoires à destination et à l'intérieur de l'Europe depuis 2014, la Méditerranée centrale étant connue pour être la route migratoire la plus meurtrière au monde. Depuis au moins les années 1990, des personnes tentent d'atteindre le Royaume-Uni de manière irrégulière depuis la côte près de Calais, en France, soit via l'Eurotunnel, en embarquant sur des camions ou d'autres véhicules, soit via le port de Calais, où ils tentent d'embarquer à bord de ferries ou d'utiliser de petites embarcations en mauvais état depuis d'autres points de la côte française pour essayer d'atteindre Douvres ou d'autres ports dans le sud de l'Angleterre. 

 

Source: Projet « Migrants disparus » de l'OIM

Mais au Royaume-Uni, le mal s'étend au-delà des limites du voyage. Le nombre de décès dans les centres d'hébergement pour demandeurs d'asile a fortement augmenté. La surpopulation et les conditions inhumaines sont prouvées dans les centres d'accueil, tandis que 200 enfants demandeurs d'asile non accompagnés ont disparu de leur logement. 

Ce qui est sans précédent, toutefois, c'est le discours public négatif et hostile. Et ce que l'on dit trop rarement, c'est que ce discours ne correspond pas du tout à l'opinion publique britannique. L'attitude du public britannique à l'égard de l'immigration est non seulement devenue plus tolérante, équilibrée et pragmatique, mais aussi de plus en plus positive au cours des dernières années. 

 

À mesure que le discours politique négatif s'intensifie, l'inquiétude pour la sécurité des migrants s'accroît 

Les mots ont de l'importance, ils ont des conséquences dans le monde réel. La rhétorique hostile est à l'origine de toutes sortes de préjudices. 

En novembre, des bombes incendiaires ont été lancées contre un centre de traitement des demandes d'immigration à Douvres et, plus récemment, des scènes de désordres civils violents et des manifestations contre les migrants ont eu lieu devant des hôtels hébergeant des demandeurs d'asile à Knowsley ainsi que dans d'autres régions du Royaume-Uni. 

Récemment, les experts en droits de l'homme des Nations Unies ont mis en garde contre les déclarations publiques trompeuses qui remettent en question la crédibilité des victimes de la traite et des formes contemporaines d'esclavage. Les allégations exagérées d'exactions peuvent éroder la sympathie du public pour les victimes de violations des droits de l'homme et - comme l'ont noté les rapporteurs spéciaux des Nations Unies - peuvent conduire à des attaques contre les migrants et les demandeurs d'asile. 

 

Les attitudes de plus en plus positives de la population britannique 

La rhétorique de plus en plus toxique et l'environnement hostile sont en réalité très éloignés des attitudes et des opinions de la population britannique. En fait, une part relativement importante de la population britannique répond positivement lorsqu'on lui demande si l'immigration fait du Royaume-Uni un endroit où il fait bon vivre ou non. Et conformément aux tendances observées dans de nombreux pays européens, les attitudes positives sur cette question n'ont cessé d'augmenter au cours des deux dernières décennies. 

Des tendances positives similaires sont visibles dans d'autres sondages. Nous avons constaté, par exemple, une très forte augmentation de la part des personnes interrogées qui estiment que les compétences et la main-d'œuvre des immigrants sont nécessaires au relèvement économique de la Grande-Bretagne. 

En outre, le Royaume-Uni vient d'arriver en tête d'un classement international comme le pays qui accepte le mieux l'immigration et qui est le moins enclin à vouloir imposer des limites strictes à l'entrée des étrangers dans le pays. Les chercheurs qui ont analysé les données de l'enquête World Values Survey de 2022 ont également constaté que 70 pour cent des personnes interrogées au Royaume-Uni estiment que l'immigration renforce la diversité culturelle (deuxième pays derrière le Canada), et que le public britannique est le moins susceptible de penser que l'immigration accroît le chômage ou fait augmenter la criminalité. 

 

Attitudes à l'égard des demandeurs d'asile et des réfugiés 

Si les attitudes à l'égard de l'immigration sont généralement - et de plus en plus - positives, la question des demandeurs d'asile qui traversent la Manche préoccupe davantage l'opinion publique. En particulier, l'incapacité à stopper les arrivées par petits bateaux est un motif majeur de mécontentement à l'égard du gouvernement. Les données de YouGov dépeignent des opinions plus négatives à l'égard des personnes traversant la Manche qu'à l'égard des autres migrants. 

À certains égards, cela n'est pas surprenant. Nous savons que les préoccupations du public sont facilement « captées » et que la migration peut devenir une question brûlante en des temps d'attention médiatique et politique accrue. Ce phénomène a été particulièrement visible pendant la campagne du Brexit, et est en effet tombé dans l'oubli après le référendum. Et comme le montrent les données de YouGov, l’intérêt a fortement augmenté - atteignant 37 pour cent en novembre 2022 - probablement liée à l'attention accordée aux traversées de petits bateaux, bien que l'on soit loin des sommets atteints au cours de la période 2015-16. 

Mais ce qui ressort également clairement des récents sondages, c'est que, loin des discussions sur les petites embarcations et la Manche, le public britannique soutient fermement (75 %) le principe de protection des réfugiés, un tiers d'entre eux seulement affichant une préférence pour des politiques axées sur la dissuasion. En outre, près de la moitié (47 %) des personnes interrogées soutiennent des politiques telles que l'autorisation de déposer des demandes d'asile en dehors du Royaume-Uni (par exemple dans les ambassades britanniques ou en proposant un nouveau type de visa), tandis que 20 % seulement s'opposent à ces mesures alternatives. Et, ne l'oublions pas, bien que la question des petites embarcations soit clairement controversée dans l'opinion publique, l'analyse des données du Ministère de l'intérieur montre que la majorité des personnes qui arrivent par cette voie sont effectivement des réfugiés. 

Le public britannique est également très favorable (81 %) à l'idée d'autoriser les demandeurs d'asile à travailler six mois au cours de la procédure de demande, au lieu des 12 mois actuels, une politique réclamée depuis longtemps et dont il a été démontré qu'elle offrait de multiples avantages fiscaux et économiques

 

La nécessité de discours plus équilibrés et de politiques fondées sur des données probantes 

Le langage utilisé dans l'espace public à propos de la migration a une grande importance. Il peut être très préjudiciable, à la fois en alimentant la violence communautaire et en conduisant à des politiques plus sévères (et souvent coûteuses et inefficaces). Ce dont le Royaume-Uni a désespérément besoin, c'est d'un discours plus équilibré et de politiques migratoires davantage fondées sur des données probantes. Et c'est à nous tous qu'il incombe de s’assurer que le discours public soit plus équilibré. Fournir des données et des faits précis est le point de départ fondamental, bien qu'en ne se focalisant que sur les chiffres, ces derniers peuvent être facilement manipulés pour alimenter l'incertitude et la peur. Nous avons appris l'importance des récits centrés sur l'humain et de toucher le cœur et les émotions des gens en promouvant des messages fondés sur des valeurs

Le respect fondamental des droits de l'homme doit rester au cœur de tous nos discours et de toutes nos politiques - quel que soit leur statut, toutes les personnes en situation de déplacement ont droit à la protection des droits de l'homme. Les droits de l'homme ne se « gagnent » pas en étant un héros ou une victime, mais sont un droit pour tous, indépendamment de l'origine, de l'âge, du sexe et du statut. Il est grand temps de rééquilibrer le discours et d'écouter le public britannique qui est manifestement prêt pour des débats moins polarisés et des solutions plus constructives. 

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Ce blog a été publié à l'origine sur le site de l'ODI

Collaborateurs : Anna Bailey-Morley (ODI), Abir Soleiman (OIM UK) 

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